mardi 30 avril 2013

DE L’EUROPE par Adam Biro

Le cimetière militaire de Douaumont, France
Beaucoup de livres paraissent déjà, et il en paraîtra encore plus l’année prochaine, pour marquer le centième anniversaire de l’éclatement de ce que les Français appellent encore la Grande Guerre, la préférée de Brassens. Cette confrontation redessina la carte du monde et ouvrit les portes aux infinis malheurs que connut le XXe siècle. Toutes les familles européennes furent touchées par l’horrible et inutile boucherie, individuellement. (Un de mes grands-oncles, français, mourut aux Dardanelles pour la République qui voulait casser du Boche, mon grand-père, hongrois, fut gravement blessé sur l’Isonzo pour l’empereur François-Joseph qui a « tout pesé, tout réfléchi » en août 14.) Rien de positif n’en sortit. Mort, larmes, souffrances. Hitler et Staline. Rien ne pouvait motiver cette guerre, sinon la lutte de pouvoir absurde des grandes (et petites) puissances. Je connais peu d’exemples comparables de l’acharnement des dieux pour perdre les hommes.
L’évolution de l’idée européenne nous entraînera sinon dans les mêmes horreurs, du moins dans la même absurdité. À l’ère du numérique et des réseaux sans frontières, les nationalismes stupides sont là, toujours explicables et expliqués : Tchèques et Slovaques se sont séparés, les Flamands veulent quitter les Wallons, les Corses réclament leur autonomie, l’Italie du Nord cherche à répudier le Sud, Serbes, Bosniaques et Kosovars se font la guerre, les Écossais et les Catalans luttent pour leur indépendance, les Suisses et les Norvégiens n’entrent pas dans l’Union européenne, quant à la Hongrie, elle en veut à tout le monde… Si l’Europe ne se fait pas, la France, soixante millions d’habitants, la Slovaquie, cinq millions… et Chypre, un million cent mille, se retrouveront, chacun pour soi, chacun avec sa banque nationale (inefficace), bientôt sa monnaie (dévaluée quotidiennement), son armée (inexistante), ses frontières (supposées hermétiques), son système éducatif (lamentable, fabriquant des têtes ni bien pleines ni bien faites), ses protections sociales (dérisoires), sa politique étrangère (égoïste, agressive, cacophonique), ses réglementations agricoles, face à la Chine, à l’Inde, au Brésil, aux deux Corées réunies, aux États-Unis. Je vous laisse terminer ma pensée, car tellement je ris que les larmes m’empêchent de réfléchir.
Peu de choses me semblent aussi évidentes que si l’Europe ne se construit pas, si les pays européens ne s’unissent pas, nous disparaîtrons, notre continent deviendra un Disneyland inscrit — éventuellement — sur le programme des tours operators qui feront visiter, en cinq jours, England-the-Queen (elle sera toujours en vie), France-La Joconde (à cause du Da Vinci Code)-Versailles-châteaux-de-la-Loire, à Bruxelles le Manneken pis, et quelques broutilles si le temps le permet comme Hungary-the-puszta, l’Oktoberfest de Munich, Italy-Leonardo (à cause, toujours, du Da Vinci Code). Pas la peine d’aller à Venise, puisque les touristes auront déjà vu le Rialto à Las Vegas. (Le voyage de Montaigne de Bordeaux à Rome dura dix-sept mois, dont une visite de Rome de cinq mois.)
Comment voulez-vous que le Portugal, la Roumanie, mais même la Grande-Bretagne ou la France survivent seuls face à la jeunesse, à l’inventivité, au dynamisme des pays émergents ? Je me souviens de la plaisanterie sur le grand-duc de Luxembourg qui, lors d’un voyage officiel en Chine, fut reçu par Mao. « Combien êtes-vous au Luxembourg ? » demanda Mao. « 500 000 », répondit le grand-duc. « Ah, dit le grand-timonier, et vous êtes descendus dans quel hôtel ? »
Je suis de ceux qui rêvent de petites unités autogérées, qui croient à l’autonomie des groupes fondés sur des affinités, sur le libre choix de l’appartenance. Et je n’aime pas cette époque de méga-rassemblements, de masses et d’unions forcées. Dans une confédération européenne que j’appelle de mes vœux, qui ne sera pas dominée par le capital, chaque pays ou région pourra garder sa langue, ses coutumes, ses particularités — son âme. Mais l’accroissement de la population du monde ne permet pas, ne permettra plus de jouer solo, perso, et si nous prenons notre destin européen en main maintenant, tout de suite, nous pouvons encore échapper à une globalisation imposée.
Nous sommes vraiment un vieux continent et peut-être avons-nous fait notre temps. Les civilisations sont mortelles. Il n’y a pas un chef d’État qui proposerait une Confédération européenne. Nous n’avons mérité que Hollande-Merkel-Cameron (et Orbán et Beppe Grillo). Quand nous citons l’exemple de la Suisse, quatre langues, deux religions principales, des citadins riches et des paysans longtemps misérables, une histoire sanglante (oui), nos (com)patriotes nous répondent que…, et quand on parle des États-Unis (des états unis) d’Amérique, nés dans la douleur d’une cruelle guerre civile, confrontés à leur naissance à de vraies difficultés, on vous dit que… En voilà pour les arguments.
La compétitivité économique et commerciale n’est, évidemment, pas une raison pour construire l’Europe. Il y en a d’autres qui me passionnent bien plus, culturelles, historiques, sociales…
Mais nous avons, en France, de vrais problèmes : la semaine des quatre jeudis et le mariage de la carpe et du lapin.
P.S. Suite à mon billet de février consacré aux comédies musicales : courez voir la version restaurée de Funny face (Stanley Donen 1957, avec Audrey Hepburn et Fred Astaire, musique de Gershwin)— un scénario tiré par les cheveux, un Paris de cartes postales — et pourtant, comme moi, pleurez de plaisir.
adam biro
mai 2013
biroadam4(AT)gmail.com

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