lundi 1 avril 2013

DE LA HONGRIE par Adam Biro

Budapest. © de ma grande amie photographe américaine Sharon Stepman
Il y a quelques jours, je croisai dans la rue à Paris un vieux copain franco-hongrois. Voici le discours qu’il me tint, ou plutôt qu’il déversa sur moi, sans que je puisse ni l’interrompre, ni lui répondre :

Szervusz. Je viens de suivre une cure dans une ville d’eau hongroise. Sans raison. En vérité, c’étaient des vacances, car de l’avis des deux médecins consultés, je n’ai rien, ou si peu. Ils disent que je suis dans une forme éblouissante. Fadaises. Évidemment, par rapport aux Hongrois de mon âge, je me porte bien. Regarde — et il tira un journal hongrois de sa poche, l’Élet és Irodalom, Vie et Littérature — ce que dit cet article du 7 décembre 2012. Je te le traduis, si jamais tu en avais besoin…  (Rire sardonique.) ’’Il est de notoriété publique, que depuis un siècle et demi, la Hongrie occupe, quant au nombre de suicides, la première place au monde ou l’une des premières. Mais on sait moins qu’elle occupe une place dans le dernier rang quant à l’espérance de vie, le nombre de naissances, et parmi les premières places pour l’alcoolisme, les mauvaises habitudes alimentaires, le stress, l’avortement, le nombre de divorces…’’ C’est écrit par un certain Ladányi János, et l’article s’intitule Autodestruction systématique et détérioration volontaire de l’existence.

Et il poursuivit.

— J’ai mal au dos. Qui, dans ce monde d’assis, n’a pas mal quelque part, de préférence au dos ? Tu n’as pas mal au dos, toi ?

J’essayai de répondre — peine perdue.
—Bref, après vingt ans d’absence, j’avais envie de retourner dans mon pays natal pour assister au moment historique, quand ce pays, qui n’a jamais ou si peu connu la démocratie, était en train de basculer, à nouveau, dans le populisme. On dirait que nous, Hongrois, nous aimons les dictatures, le malheur. Et réciproquement. L’hymne hongrois, écrit il y a près de deux siècles, ne dit pas autre chose :
‘’Malheur, toi qui l’assailles depuis si longtemps, apporte lui une année joyeuse’’. Il n’y a pas de hasard. Cent cinquante ans d’occupation turque, quatre cents ans de mainmise autrichienne, trente ans de dictature d’extrême droite molle du contre-amiral Horthy dont dix de soumission à Hitler, quarante ans de dictature communiste soviétique, puis quelques années de liberté et de démocratie, et vlan, le premier ministre, un certain Orbán Viktor,un obsédé pathologique du pouvoir, soutenu par la majorité des votants, bricole et rebricole à sa guise quotidiennement et sans contrôle la Constitution qu’il vide lentement de sa substance pour la rendre anti-démocratique. Il muselle les médias, redécouvre un passé hongrois mythique, une homogénéité ethnique bidon et une hungarité fabriquée à partir d’éléments en plastique de mauvaise qualité, non-biodégradables. Il cherche à exclure les minorités, les juifs, les Roms, les homosexuels, les filles-mères, les chômeurs, les pauvres, les SDF, mais aussi les banquiers et les juges qui ne sont pas de son bord, les chiens qui ne sont pas de race hongroise et bientôt les cochons d’Inde. Il se méfie de l’Europe et il se rapproche des dictatures ex-soviétiques d’Asie centrale, de l’Iran et de la Chine. Qui dit mieux ?

Que je dise mieux ou non, peu lui importait.

—Et je voulais tâter de l’atmosphère tellement littéraire, tant de fois décrite des stations thermales, des sanatoriums, des villes d’eau. Mon séjour là-bas était donc plus littéraire que médical. Je voulais expérimenter La Montagne magique pour la cure, La Mort à Venise ou La Dame au petit chien pour les villes d’eau. Mais, au lieu de profiter du temps libre, j’ai discuté avec des gens de la situation idéologique désastreuse du pays. Je dis idéologique ; je me fous de la situation économique, qui, de toute façon, suit. Les démocraties s’en tirent mieux que les dictatures, les Danois avec un sous-sol vide vivent mieux que les Congolais avec l’un des sous-sols les plus riches de la Terre. Nous avons constaté que le gouvernement, le Parlement, le peuple, oui, le peuple hongrois s’étaient engagés sur un sentier, sur une pente pré-fascistes dont chacun sait pertinemment où ils mènent. Je sais, nous tous savons, prévoyons avec certitude les exclusions, la misère, la dictature suivies d’une révolution ou d’une guerre, non pas inévitables, car on peut encore les éviter en changeant de gouvernement. Le modèle est connu, le protocole est tracé. Quand un pays avec de graves problèmes économiques, financiers, industriels, ethniques, intellectuels, religieux, idéologiques, ne s’appuie que sur son passé, qui, à force de gratouillage, apparaît comme héroïque, quand il ne trouve rien de mieux pour s’en sortir que de se glorifier, en se disant le meilleur, quand il a besoin de se présenter comme un peuple exceptionnel injustement traité par l’Histoire, quand il dépense toute son énergie à reconquérir des territoires perdus il y a un siècle, la suite — sanglante — est inéluctable. Et le malheur qui l’assaille depuis longtemps ne lui apportera aucune année joyeuse.

Allez, à un de ces jours. Szia. 

Il enfourcha son Vélib et me planta là. Il s’est comporté comme ce gouvernement qu’il venait de vilipender : il ne voulait pas de discussion et encore moins de contradiction.



adam biro
avril 2013

biroadam(AT)gmail.com



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